EDITO JUIN 2025 : par Nesles

Crédit photo : Richard Dumas.

ØRSØN ou tout ne fait que commencer

Je n’avais pas envie d’écrire cet édito. Peut-être parce que derrière cette proposition qui m’a été faite, il y avait quelque chose qui sentait la conclusion, le bilan, l’épilogue. L’épitaphe. Or je déteste tout ce qui a une fin ; c’est d’ailleurs pourquoi je lis plusieurs livres en même temps, écris plusieurs chansons, plusieurs textes en même temps. Pour ne pas que ça s’arrête. Que ça finisse. Jamais.

De cet édito, il existe au moins cinq versions, tout aussi lamentables les unes que les autres. Je ne sais pas ce que vaudra celle-ci, mais à cet instant où je l’écris (il est 02h28 du matin), je ne réfléchis plus. Je laisse aller. On verra bien. Au départ, j’avais envisagé d’envoyer simplement ceci :
Ø
Le symbole de l’ensemble vide, seul signe mathématique que j’aie jamais compris et qui m’a toujours plu par sa graphie pure et mystérieuse. Puis je me suis rétracté, supposant qu’on allait me reprocher d’être un peu facile et paresseux. Or laissez-moi vous préciser deux choses : je suis un garçon qui n’est ni facile ni paresseux.

Qu’écrire donc ?
Et sur quoi ?
Je me suis bien lancé dans une sorte de pamphlet sur les politiques culturelles actuelles mais là encore j’ai préféré m’abstenir. Certaines comparaisons audacieuses avec certains régimes totalitaires m’auraient sans doute valu quelques ennuis. Or des ennuis, j’en ai déjà assez comme ça.

En écrivant, en raturant, en pataugeant, en cogitant à tout cela (jugez du temps que m’aura pris ce foutu édito), il m’est revenu cette magnifique phrase d’Orson Welles à qui l’on demandait un jour comment il aurait pu résumer sa carrière. Orson, fidèle à son sens de la formule, répondit majestueusement : « j’aurai passé ma vie à chercher de l’argent »…
Comme beaucoup de mes consœurs et confrères aujourd’hui, je crois que je pourrais donner à peu près le même genre de réponse. Parce que faire un disque coûte de l’argent, faire un film coûte de l’argent, la culture coûte de l’argent – n’en déplaise à certaines et à certains.
À la différence de ce cher Orson Welles qui aura passé une grande partie de sa vie à voyager (notamment pour fuir ses créanciers – ce qui me le rend forcément sympathique), moi je voulais juste trouver un endroit où me poser. Avec mes instruments. Mes carnets et mes idées. Un endroit calme et protégé.
Une cabane.
De fait, des cabanes j’en ai eu plusieurs. Et la dernière en date, c’est celle d’où je vous écris (il est maintenant 02h48) : la Manufacture Chanson.

Ici j’ai pu lire, écrire, réfléchir, discuter, m’énerver, rire, composer, programmer, m’entrainer, répéter, expérimenter, jouer, enregistrer, mixer, inviter d’autres artistes à venir exposer, jouer à leur tour, échanger, discuter, encore et encore. Je suis très fier d’avoir fait découvrir cet endroit à des gens que j’aime et estime profondément ; la liste est longue mais vous en connaissez la plupart – du moins je l’espère sinon ça voudrait dire que j’ai raté mon coup.
Ici j’ai été à l’abri du bruit du monde et de ses turpitudes pour faire ce que j’avais à faire : de la musique. Et ça, ça n’a pas de prix – n’en déplaise à qui vous savez. Ici j’ai redécouvert la solidarité, le compagnonnage, l’entraide, le collectif, l’humilité, la foi, l’engagement, la surprise.
Ici je me suis pris quelques bonnes claques lors de rencontres, de découvertes parfois totalement inattendues, de concerts, d’ateliers que j’ai animés, d’accompagnements scéniques.
Ici j’ai pu n’être que moi. Rien que moi. Sans aucun compte à rendre à qui que ce soit, hormis peut-être à moi-même – et un peu aussi à la direction (faut pas déconner non plus).

Donc faire un édito pour dire que c’est fini, pardonnez-moi l’expression mais ça m’emmerde.
Parce tous les jours, tout ne fait que commencer. Toujours.
À bientôt.
À vite.

Nesles
Paris, le 3 juin 2025
03h37